lundi 25 octobre 2010

vendredi 8 octobre 2010

rtf et texte de Gwilherm Perthuis à propos de l'exposition chez Daviet-Théry

Brouiller les pistes…

Gwilherm Perthuis

« Sans promenade, je ne pourrais recueillir ni études ni observations ». Robert Walser

Muni d’un appareil photographique, collé au plus près du corps, Nicolas Aiello déambule dans les villes ou dans des zones urbanisées pour relever des signes graphiques, des écritures, ou des fragments d’architectures qui ponctuent nos espaces de vies quotidiens. L’expérimentation du territoire est au cœur de son projet artistique qui vise à recomposer par le dessin des centaines de mots ou d’images récolés systématiquement, mais qui perdent leur sens dans le nouveau réseau graphique qu’ils forment sur la feuille de papier. La promenade urbaine est décisive pour la collecte de matériaux arrachés à des lieux que ce soit par la prise de vue aléatoire sans travail de cadrage d’éléments architecturaux qui délimitent, marquent et définissent un environnement ; ou par le travail de liste qui consiste à écrire dans un carnet chaque nom d’enseigne, chaque indication de signalisation, chaque mot participant du fonctionnement de la ville. Pour Robert Walser (1878 – 1956), auteur suisse qui nous a entre autre laissé des manuscrits indéchiffrables et saturés de fragments littéraires (Microgrammes), la promenade est également un temps déterminant pour la construction des idées, la prise en note de détails ou de faits susceptibles de déclencher une fiction, pour écrire des poèmes. Dans la nouvelle La Promenade, Walser exprime son désir déterminant de déambuler de manière aléatoire et de nourrir son œuvre des moments éprouvés durant ces longues marches.

C’est d’ailleurs dans un champ recouvert de neige que Robert Walser s’est effondré le jour de Noël 1956. Sur son terrain poétique de prédilection. La vidéo de Nicolas Aiello intitulée Neige repose sur l’imbrication de plusieurs médiums dans une perspective poétique. Il s’agit en réalité d’un « dessin animé », au sens premier du terme, puisqu’il repose sur la succession aléatoire d’une série de 25 dessins réalisés à Berlin. L’ensemble des dessins défile à chaque seconde dans un ordre différent et produit ainsi une sorte de neige d’écran dont le rythme, lié à la nature des relevés qui composent les dessins, fluctue très subtilement. L’expérimentation de la ville est comme cartographiée dans chaque dessin par l’entremêlement des mots repères, qui sont eux-mêmes mis en scène par une sorte de flux ou de pouls dans la vidéo. Cet enchâssement des médiums est particulièrement efficace puisque les différentes modalités qui préexistent séparément aboutissent à des propos plus complexes en étant combinés. L’anéantissement du signe, lu et relevé au départ dans le rue, est particulièrement efficace dans Neige puisque le signifié n’est absolument plus repérable et le signifiant ne participe plus qu’à une oscillation purement plastique d’un rythme.

La série « rtf » participe également de ce travail sur le rythme mais cette fois-ci avec une dimension avant tout architecturale et attachée aux lignes qui composent l’univers purement visuel de la ville. Nicolas Aiello utilise un logiciel de traitement de texte classique pour composer des lignes de petites photographies imprimées au format rtf sur des feuilles A4. Partant de centaines de photographies réalisées dans des villes européennes et à New York, il rédige une forme de partition décrivant des rythmes, des blancs, des saturations, des effacements ou des présences… Le dispositif producteur d’images repose totalement sur des outils liés à l’écriture et à la rédaction de texte. L’artiste brouille ainsi les frontières entre l’iconographie et le mot. Les images sont contrastées pour que l’opposition entre les blancs et les noirs soit plus marquée et placées à une taille proche de celle du caractère de plomb de l’imprimerie. Il n’est pas question de pouvoir distinguer précisément d’une feuille à l’autre l’écriture new yorkaise, berlinoise, ou marseillaise, mais de saisir les disparités de l’esprit architectural de ces villes. D’en comprendre les nuances en termes de masses, des lignes ou d’emboitement des volumes. Les partitions permettent de lire des rythmes précis propres à chaque feuille. Mais les conditions d’exposition offrent également la possibilité de percevoir de légères fluctuations d’une page à l’autre et donnent tout leur sens à ce travail sensible. L’expérience corporelle du territoire, passée par le prisme de la prise de vue directe sur les motifs, trouve un aboutissement dans une étape davantage scripturale. Pour Aiello, le dessin, qui est indissociable de l’écriture, est également au cœur de sa pratique d’interprétation et de relecture de l’environnement. Le dessin est un instrument de déconstruction et de codification de phénomènes formels que nous côtoyons quotidiennement, dont nous ne prenons plus nécessairement la mesure. En brouillant les pistes et en complexifiant les cartes, son travail révèle des aspects de la ville qui nous échappent à son contact.

En 1997, Robert Morris a réalisé une estampe intitulée Land Fill II qui consiste en un report de fragments d’un article rédigé par l’artiste pour le journal Art in America, recouvert ensuite d’un passage d’une plaque en acier travaillée avec de l’encre de photocopieur. L’écriture visant à la médiatisation du travail de Morris devient motif iconographique d’une image complexe et considérablement brouillée. Le texte est illisible mais demeure perceptible dans un magma de matière chaotique. Respectant lui aussi le texte source mais en vue de le faire disparaitre par la manière de l’appliquer sur la feuille, Nicolas Aiello propose dans Le Monde, 27 juillet 2010 d’écrire chaque mot présent dans le journal dans un espace correspondant au format du journal. Comme en partie dans l’œuvre de Morris, le dessin consiste intégralement en une profusion de mots raccrochés les uns aux autres de manière aléatoire jusqu’à la saturation de la page. Les messages délivrés ne sont plus compréhensibles. Les informations développées par le « quotidien de référence » sont perdues au profit d’une chaîne de lettres qui déterminent des lignes plus ou moins densément remplies. De nouveau, un rythme apparait. Celui qu’impose le travail de prélèvement et de report des informations. Mais également le rythme induit par les dimensions contraintes de la feuille du journal qui sert de référence et qui implique à un certain moment d’écrire par-dessus, de superposer des ensembles de signes qui sont issus d’articles très différents dans le journal original. Ce dessin implique une forme d’engagement vis-à-vis des flots d’actualités qui se déversent à chaque instant sur la société contemporaine et lui impose également un rythme d’évolution.