mardi 13 novembre 2018

Catalogue de l'exposition De Mémoire (avec un texte de Aurélie Barnier) avec Céline Cléron et Solène Doually, 2017.










Extrait dexte d'Aurélie Barnier pour le catalogue :

Dans les œuvres de Nicolas Aiello, le temps rétrospectif et introspectif d’une mémoire de l’intime se déploie à partir d’archives d’une histoire familiale autant qu’universelle ou suivant les pérégrinations de l’artiste. Recto & verso (2016) associe les archives de ses grands-parents, entre 1915 et 2002, et leurs contextes politiques, retraçant une certaine histoire de France. Dans les verso présentés sous forme d’affiche et dans le diaporama des recto, l’histoire personnelle se dessine de portraits de famille en épisodes marquants de la vie d’un couple (vacances au camping, accès à un logement social ou naissances) et suivant la transformation de l’écriture de la grand-mère de l’artiste les ayant annotés. S’y mêle la grande histoire avec un faux Ausweis, une convocation au procès des soldats du camp du Struthof1, des cartes de membres du PCF ou des documents relatifs au Complot des pigeons en 19522. En contrepoint se lit aussi une histoire de la photographie, des tampons de studio aux films Kodak, du noir et blanc à la couleur ou des tirages aux bords dentelés aux polaroïds. Cherchant à valoriser les contours et leur usure comme à conférer un caractère graphique à la composition, N. Aiello numérise les images sur fond noir, ménageant ainsi des blancs, essentiels en tant qu’ils offrent un espace à l’imagination du regardeur. Dans cette installation conçue sur cinq ans est aussi intégrée une archive de l’artiste datant de ses études : une vidéo de sa grand-mère manipulant la boîte dans laquelle étaient conservées ses photographies. Ces trois points de vue incarnent l’œuvre du temps sur nos souvenirs, permettant à chacun de projeter ces archives dans son présent et vers l’avenir.
La série de 25 dessins intitulée
Berlin (2009) et son pendant, Neige (2010), dessin animé les diffusant en boucle3, ont pour origine la réécriture exacte de prospectus publicitaires trouvés lors d’un séjour en Allemagne. Ils n’ont ni début ni fin, une ligne temporelle continue allant des dessins à la vidéo et vice et versa. Le temps est ici évoqué par le rythme, N. Aiello revendiquant l’influence de Paul Klee. Il souligne aussi un rapport au corps, un aspect physique du dessin à travers l’écriture automatique qui prend parfois naturellement le relai de la copie. Si la méthode processuelle se réfère à Roman Opalka notamment, la part belle est laissée à l’accident, telle une tache d’encre qui, apparaissant à intervalle non régulier dans la vidéo, vient en perturber et ponctuer la lecture. À rebours de ces écritures devenues images, Montreuil-Juvisy A/R (2017) est une intervention in situ composée d’images converties en écritures : deux lignes de 1000 photographies (prises avec un téléphone mobile durant le trajet aller-retour de l’atelier de l’artiste à l’Espace d’art) se déploient sur les baies de la galerie, chacune ayant été vectorisée dans un format texte. Enregistrement d’une géographie parcourue et du temps passé à son exploration, cette pièce, visible depuis la rue, est pensée comme une écriture de paysage, la restitution d’une balade4.
Elle fait écho à
Melancholia (2016), dessin non plus fondé sur l’écriture mais une composition de points au grain infiniment variable notant le temps qui défile, à l’instar du paysage sous les yeux du voyageur. Pour cette cartographie du temps, il a travaillé à partir de sa propre mémoire, se fixant comme souvent sur le souvenir d’œuvres de musées, ici une fameuse gravure de Dürer5 dont il n’a retenu qu’un éclat de lumière – une mélancolie plutôt gaie – un point de départ, « quelque chose plutôt que rien ». Ce grand dessin entretient également un lien, sur le fond et la trame, avec des photographies de chiffons imbibés de l’encre essuyée sur les plaques de cuivre utilisées pour la réalisation de sérigraphies. Archives de travail, ces imprégnations de mémoire sont devenues œuvres (Chiffon, 2017).
N. Aiello lutte ainsi tout de go
contre l’oubli, et pour l’oubli de détails – ses œuvres recelant un caractère volontairement fragmentaire – qui seul permet d’accéder à une mémoire collective.
1 Natzweiler-Struthof, camp de concentration nazi en Alsace.
2 Jacques Duclos, alors dirigeant du PCF, est arrêté en mai 1952 avec son chauffeur, le grand-père de N. Aiello, pour atteinte à la sûreté de l’État, les pigeons contenus dans sa voiture ayant été soupçonnés de transmettre des informations à l’ennemi, alors qu’ils étaient en réalité destinés à sa consommation personnelle…
3 Le nombre de dessins de la série étant déterminé par les 25 images seconde au cinéma.
4 Nicolas Aiello évoque à ce propos La Promenade de Robert Walser, Gallimard, Paris, 2007 [1987].
5 Albrecht Dürer, La mélancolie, 1514, Musée Condé, Chantilly.


  • 

Aucun commentaire: